Construit à flanc de montagne, le Théâtre du Peuple de Bussang s'apparente à une immense grange dont le fond de scène s'ouvre sur la forêt vosgienne. Une architecture unique en son genre.

Imaginez un théâtre tout en bois qui, malgré les guerres et les caprices des hommes, continue d'abriter farouchement dans son ventre tous les passionnés de théâtre depuis plus de 100 ans. 

Imaginez un théâtre tout en bois, conçu sans aucun plan d'architecte, fruit de l'imagination de son créateur Maurice Pottecher et du savoir-faire des artisans locaux, réputé dans le monde entier.

Imaginez un théâtre tout en bois qui puise sa source et ses matériaux dans la forêt vosgienne environnante.

Vous êtes au Théâtre du Peuple de Bussang, où chaque élément de la structure reflète la philosophie de son créateur : un théâtre construit par le peuple et pour le peuple (cf. La belle utopie de Monsieur Pottecher).

Remontons le temps et revenons aux origines de ce théâtre :

Nous sommes en 1895 : la première scène du théâtre est une simple estrade de bois posée dans un champ à flanc de montagne. L'emplacement n'a jamais changé depuis sa création ! C'est sur cette scène assez sommaire que s'est jouée la première pièce « Le diable marchand de goutte ». Les spectateurs étaient alors debout. La scène fut démontée après la représentation.

L'année suivante, Maurice Pottecher, persuadé qu'il peut attirer un public nombreux décide de fixer un théâtre permanent. Il fait appel aux menuisiers et charpentiers de Bussang pour construire son projet, entièrement en bois. Dès le départ, il imagine le fond de scène ouvert sur la montagne. La scène, de proportion imposante (15 mètres de largeur pour 10 mètres de profondeur) répond à son souhait : « je rêvais d'une scène plus libre, plus vaste et plus accessible à la grande foule que le théâtre ordinaire des villes ». Des rangées de bancs sont installées pouvant accueillir 2000 spectateurs. Le fronton sur lequel est inscrit « Théâtre du Peuple » accolé à la croix de Lorraine est recouvert d'écorce de sapin, marquant son lien avec la nature vosgienne. Sur les parties latérales de la scène, il appose sa philosophie : « Par l'art » « Pour l'humanité ». Idée révolutionnaire pour l'époque ! Nous sommes en 1896, et déjà l'essentiel des caractéristiques du Théâtre du Peuple est là.

Durant les années qui suivent, de nombreuses améliorations sont apportées au théâtre. En 1898, un vélum est tendu au-dessus de la fosse, puis une toiture en bois le remplace, protégeant les spectateurs des intempéries et apportant une excellente acoustique. En 1904, l'électricité fait son apparition et permet de créer des variations de lumière avec le fond de scène.

Les deux guerres mondiales marquent un arrêt d'activité du théâtre. A chaque fois, il est reconstruit et amélioré. Après la Première Guerre, la salle est reconstruite, couverte et entièrement fermée, toujours en bois. Le fond de scène est amélioré en installant une porte roulante qui permet de créer de nouveaux effets scéniques. Cette porte coulissante, ouvrant partiellement ou largement sur la nature du site, constitue toujours une émotion particulière pour les spectateurs. En 1939, une nouvelle machinerie est installée, mieux adaptée aux mises en scène de l'époque. Après la Seconde Guerre Mondiale, on reconstruit et on pose un plancher qui remplace la terre battue. On surélève le bâtiment pour abriter les loges, un atelier de couture et un magasin de costumes.

Savez-vous pourquoi la scène et la salle possèdent la même inclinaison à 7% ? La pente du plateau respecte et poursuit l'inclinaison naturelle de la montagne. D'autre part, l'inclinaison identique dans la salle produit un effet miroir permettant une meilleure visibilité et un excellent rapport scène-salle.

Au cours des trente dernières années, de nouvelles améliorations sont apportées qui ne modifient plus l'aspect du théâtre, classé Monument Historique depuis 1974. En 1986, est bâtie une annexe dédiée la construction des décors, en 1991, un nouvel équipement électrique scénique est aménagé. Puis en 1994, l'entrée d'origine du théâtre est reconstruite.

Nous voici revenus au temps présent : aujourd’hui encore, chaque été, les spectateurs qui pénètrent dans la salle du théâtre sentent l'odeur du bois sec, font grincer le plancher sous leurs pas, s'asseyent sur les bancs rugueux (légendaires pour leur inconfort !) et comme en 1895 n'attendent qu'une chose : « Que le spectacle commence ! »

Charlotte Colin et Emmanuelle Nialon-Thomas

Sources photographiques :

Photo n°1 (1896) : anonyme

Photo n°2 : crédit photo Théâtre du Peuple